Vous êtes constructeur et venez de terminer la réalisation des travaux de vos clients ?
Savez-vous combien de temps, et à partir de quand vous pouvez demander à être payé ?
S’il est vrai que la jurisprudence a, plusieurs années durant, été constante en la matière, un revirement a finalement été opéré, et s’est encore confirmé en début d’année 2023.
Retour sur cette évolution et le régime à présent applicable en matière de facture impayée.

Quel est le délai de prescription applicable ?

L’article 2224 du Code civil fixe le délai de prescription de droit commun, c’est-à-dire le délai applicable à défaut de texte spécifique. Selon cet article :

« Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. »

L’article L. 110-4 du Code de commerce réaffirme également cette prescription quinquennale :

« Les obligations nées à l’occasion de leur commerce entre commerçants ou entre commerçants et non-commerçants se prescrivent par cinq ans si elles ne sont pas soumises à des prescriptions spéciales plus courtes. »

Néanmoins, ce dernier texte affirme qu’il est possible que des prescriptions spéciales plus courtes existent.

L’article L. 218-2 du Code de la consommation en est un bel exemple, lequel prévoit :

« L’action des professionnels, pour les biens ou les services qu’ils fournissent aux consommateurs, se prescrit par deux ans. »

Les bases sont posées : en cas de contrat passé entre un professionnel et un consommateur, l’action en paiement dont dispose le professionnel est de deux ans.

Ce régime est applicable aux contrats de construction, comme l’indique la première chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt du 17 février 2016 (pourvoi n°14-29-612) relatif à un contrat de vente en l’état futur d’achèvement :

« l’article L. 137-2 du Code de la consommation [nouvel article L. 218-2] dispose que l’action des professionnels, pour les biens ou les services qu’ils fournissent aux consommateurs, se prescrit par deux ans, sans distinguer entre les biens meubles ou immeubles fournis par les professionnels aux consommateurs. »

Ainsi, le délai de prescription qui vous est opposable en tant que constructeur dépend de la qualité de votre client :

  • s’il s’agit d’un professionnel, alors le délai de prescription est de cinq ans, conformément à l’article L. 110-4 du Code de commerce
  • s’il s’agit d’un consommateur en revanche, alors le délai de prescription est de deux ans, conformément à l’article L. 218-2 du Code de la consommation.

Quel est le point de départ de la prescription d’une facture impayée ?

En la matière, les juges se fondent sur l’article 2224 du Code civil, lequel indique que le point de départ commence à courir « à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. ». Cependant, cette notion a varié au fil des ans.

Comme évoqué précédemment, la jurisprudence a pendant un moment été constante, avant d’opérer un revirement en 2020.

Dans un arrêt du 03 juin 2015 rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation (pourvoi n°14-10.908), il a été considéré que :

« c’est à bon droit que la cour d’appel a retenu que le point de départ du délai de prescription biennale de l’action de paiement de la facture litigieuse se situait au jour de son établissement. »

Cette décision a ensuite été réaffirmée par deux arrêts ultérieurs (Cass civ 1e, 09 juin 2017, n°16-12.457 ; Cass civ 3e, 14 février 2019, n°17-31.466) :

« le délai de prescription avait pour point de départ la date de l’établissement des factures litigieuses »

Ce faisant, en tant que constructeur, le point de départ du délai de prescription, de deux ans face à un client consommateur ou cinq ans face à un client professionnel, ne commençait à courir qu’au moment de l’établissement de la facture.

Un revirement de jurisprudence a cependant été opéré par la chambre commerciale de la Cour de cassation, le 26 février 2020 (pourvoi n°18-25.036). Il s’agissait en l’espèce d’un contrat entre deux professionnels, et pour la première fois, la Haute juridiction indique que le point de départ du délai de prescription se fait au moment de l’exécution de la prestation, et non plus à la date de l’établissement de la facture.

Cette décision a ensuite été reprise par la première chambre civile de la Cour de cassation, le 19 mai 2021 (pourvoi n°20-12.520), à l’occasion d’un contrat de construction d’une maison d’habitation entre un professionnel et un consommateur :

« Au regard des dispositions de l’article 2224 du Code civil dont l’application a été admise pour déterminer le point de départ du délai de l’article L. 137-2, devenu L. 218-2 du Code de la consommation, et afin d’harmoniser le point de départ des délais de prescription des actions en paiement de travaux et services, il y a donc lieu de prendre en compte la date de la connaissance des faits qui permet au professionnel d’exercer son action, laquelle peut être caractérisée par l’achèvement des travaux ou l’exécution des prestations. »

L’arrêt rendu le 01 mars 2023 par la troisième chambre civile de la Cour de cassation (pourvoi n°21-23.176) entérine ce revirement de jurisprudence :

« la Cour de cassation retient désormais que l’action en paiement de factures formée contre un professionnel, soumise à la prescription quinquennale de l’article L. 110-4 du Code de commerce ou contre un consommateur, soumise à la prescription biennale de l’article L. 137-2, devenu L. 218-2, du Code de la consommation, se prescrit à compter de la date de la connaissance par le créancier des faits lui permettant d’agir, laquelle peut être caractérisée par l’achèvement des travaux ou l’exécution des prestations (Com., 26 février 2020, pourvoi n° 18-25.036, publié au bulletin ; 1re Civ., 19 mai 2021, pourvoi n° 20-12.520, publié au bulletin).

Dès lors, peu importe que votre client soit un professionnel ou un consommateur, en tant que constructeur, votre action en paiement commence à l’achèvement des travaux.

Vos clients n’ont pas réglé les factures après l’achèvement des travaux ? N’hésitez pas à contacter le cabinet de Maître Charles PAUMIER, avocat en droit de l’immobilier construction, pour vous assister dans ce processus de recouvrement de factures.

Quel est le régime applicable aux CCMI pour une facture impayée ?

Si ce revirement de jurisprudence semble s’appliquer à l’ensemble des contrats de construction, il est important d’en analyser les effets sur le contrat de construction de maison individuelle.

Ce type de contrat est fortement encadré législativement, par les articles L. 230-1 à L. 232-2 et R. 231-1 à R. 231-14 du Code de la construction et de l’habitation, dans un but de protection de l’acquéreur.

Notamment, l’article R. 231-7 de ce code précise quelles sont les règles applicables au paiement des travaux, en précisant que les 5 derniers pourcents peuvent être consignés par l’acquéreur en attendant la levée des réserves s’il en existe.

Dès lors, la troisième chambre civile de la Cour de cassation avait jugé bon d’indiquer dans un arrêt du 24 octobre 2012 (pourvoi n°11-18.164 ; rappelé dans Cass civ 3e, 13-02-2020, n°18-26.194) que :

« le solde du prix n’est dû au constructeur qu’à la levée de l’intégralité des réserves »

Bien que cet arrêt soit antérieur à celui de 2023 précisant que le point de départ de prescription est caractérisé par l’achèvement des travaux, la Cour de cassation ne semble pas remettre en cause sa jurisprudence antérieure en matière de CCMI.

De ce fait, en tant que constructeur, le délai de deux ans face à un consommateur, ou de cinq ans face à un professionnel, ne commence à courir qu’à compter de la date d’exigibilité de chaque échéance : à l’ouverture du chantier, vous disposez d’un délai de deux ans pour demander le paiement des 15 premiers pourcents, à l’achèvement des fondations, vous pouvez réclamer que 25% de la somme totale ait été payée, … Et pour ce qu’il en est du solde du prix, le point de départ sera la levée des réserves, et non la réception.

En conclusion, il convient à présent de ne plus prendre en compte l’établissement de la facture comme point de départ de votre délai de prescription pour réclamer le paiement des travaux effectués, mais bien le moment où les travaux en question ont été achevés.

Vos clients n’ont pas réglé les factures après l’achèvement des travaux ? Vous hésitez quant au point de départ ou au délai de prescription s’appliquant à votre cas ? Contactez le cabinet de Maître Charles PAUMIER, avocat en droit de l’immobilier construction, pour vous assister et mettre en place une procédure de recouvrement de votre créance.

Article rédigé avec la participation de Pauline BEUGNET, stagiaire Master 2.

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